Lettre ouverte à Nicolas Hulot, ministre d’Etat
Ministre de la transition écologique et solidaire
Ministre de la cohésion des territoires
Vous avez diffusé récemment, sous le timbre de la direction de l’eau et de la biodiversité, bureau des milieux aquatiques, une note technique en date du 26 juin 2017 à l’attention des services déconcentrés (DREAL, DDTM), relative à la caractérisation des zones humides.
Cette note fait suite à une décision du conseil d’Etat du 22 février 2017 venue contredire l’arrêté du 24 juin 2008 modifié précisant les critères de définition et de localisation des zones humides, en application des articles L 214-7-1 et R 211-108 du code de l’environnement.
Par cette décision en effet, le conseil d’Etat estime que les deux critères cités par l’article 211-1 du code de l’environnement (sol hydromorphe et végétation hygrophile lorsqu’elle est présente) sont cumulatifs et non alternatifs : «  on entend par zone humide les terrains, exploités ou non, habituellement inondés ou gorgés d’eau douce, salée ou saumâtre de façon permanente ou temporaire ; la végétation, quand elle existe, y est dominée par des plantes hygrophiles pendant au moins une partie de l’année  ». Avant cette décision, seule la présence d’un sol hydromorphe pouvait suffire à caractériser une zone humide dans un espace comprenant également de la végétation.
En précisant que cette décision s’impose désormais à l’arrêté du 24 juin 2008 déjà cité, le conseil d’Etat ouvre ainsi la voie à une remise en cause des inventaires et classements réalisés au cours des années passées dans le cadre des schémas directeurs sur l’eau (SDAGE, SAGE), l’urbanisme (PLU, SCOT, SRADDET) à partir de nombreuses expertises environnementales et scientifiques. La note citée en objet en fait de simples «  inventaires informatifs  ».
De nombreuses associations comme la nôtre s’interrogent sur la portée et le bien-fondé scientifique et juridique de ces nouvelles dispositions réglementaires. Elles constatent que ces mesures, pour autant qu’elles soient applicables, sont un très mauvais signal envoyé aux protecteurs de l’environnement, alors que la COP 23 a démarré à Bonn. Elles expriment à nouveau leurs doutes sur l’existence d’une réelle volonté politique de protéger la biodiversité, indissociable de la lutte contre le réchauffement climatique.
Dans un article commun récent (mars 2017) l’UGPE (Union Professionnelle du Génie Ecologique) et l’association «  Humanité et Biodiversité  » s’inquiètent, par exemple, de la possibilité de déclassifier volontairement des zones humides, afin d’en empêcher le classement ; «  cette décision induit un risque majeur de destruction à grande échelle d’espaces aujourd’hui occupés par une végétation hygrophile au profit d’espaces artificialisés  ».
Elles mettent également en avant le risque de condamnation des zones humides dégradées susceptibles de bénéficier de programmes de restauration, précipitant ainsi leur disparition, en contradiction totale avec la reconquête de la qualité des eaux (Directive Cadre européenne). Elles concluent que «  sur le plan technique, il est impossible de ne prétendre limiter les zones humides qu’au cas où celles-ci seraient caractérisées (…) par la présence simultanée des deux critères -sol et végétation- Il s’agirait d’une restriction abusive sur le plan scientifique  ». De son côté, « Eau France  »Â craint une remise en cause des inventaires réalisés dans le cadre des SAGE. Quant à la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, elle se contente de mentionner les deux conditions cumulatives fixées par le conseil d’Etat, sans aucun commentaire.
Le conseil d’Etat nous a fait savoir récemment qu’il estime recevable le recours déposé par le groupe «  Pierre&Vacances  », maître d’ouvrage du projet de Center-Parcs de Roybon, au titre de la loi sur l’eau, après avoir perdu en appel à Lyon fin 2016. Appliquée à la lettre, la nouvelle jurisprudence qui découle de la décision du 22 février peut conduire à une déclassification massive des zones humides répertoriées sur le site au moment de l’enquête publique, soit environ 76 ha.
Selon l’expert du tribunal administratif de Grenoble, ce sont en réalité de 110 à 120 ha qui sont menacés si l’on prend en compte les critères de fonctionnalité plus exigeants attachés à ces sols. Ces derniers sont en effet sur les aires d’alimentation (aquifère molassique du Bas-Dauphiné) qui doivent rester selon les scientifiques peu anthropisées pour conserver leur fonctionnalité. De son côté, le SDAGE (Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux) Rhône-Méditerranée fait de l’ AEP (alimentation en eau potable) l’enjeu majeur de son action, en qualifiant cet ensemble de «  ressource majeure, d’enjeu régional, vulnérable et à préserver pour les générations futures  ».
Notre association (1) a souhaité par la présente vous alerter sur ce qu’elle considère comme un nouveau recul dans la mise en œuvre d’une politique de protection des espaces naturels sensibles, alors que ces derniers sont menacés de toutes part. Elle vous saurait gré d’une prise en considération des avis scientifiques sur la question des zones humides, et d’une explicitation des modalités d’application de la note technique visée en objet.
(1) PCSCPÂ : Pour les Chambaran sans Center-Parcs 1910 route de la verne 38940 Roybon - www.pcscp.org contact@pcscp.org