Je suis allé voir votre dernier film, « Les Saisons  », et je l’ai apprécié. Un film contemplatif avec de très belles images des animaux de nos forêts, sans trop de discours pédagogique. Qui n’oublie pas de faire, à la fin, le lucide constat de la destruction des habitats de nombre d’espèces par l’agriculture et la sylviculture industrielles.
Ce que j’ai beaucoup moins apprécié, ce sont les partenaires du film dont les noms apparaissent au début.
EdF, Rolex, la Principauté de Monaco : passe encore, après tout votre film ne critique pas l’évasion fiscale ou le nucléaire. Mais Center Parcs !
En tant qu’opposant aux Center Parcs, et en particulier à celui projeté à Roybon en Isère, je me suis soudain trouvé devant une pépite de green-washing. Vous connaissez sans doute ce terme, qui décrit la pratique d’entreprises aux activités nuisibles pour l’environnement, consistant à se faire passer pour écologistes auprès du grand public à grands renforts de communication.
Center Parcs tire sans doute de ce partenariat plus qu’un simple bénéfice d’image, mais pas mal de clients. On apprend en effet sur leur site : « Jacques Perrin et Gérard Brémond 1 ont mis en Å“uvre la thématique animalière du Domaine du Bois aux Daims, inauguré le 10 juillet 2015, et accueillant les animaux ayant participé au tournage du film. Cet univers surprenant est à découvrir tout au long de l’année
dans ce domaine Center Parcs grâce au cÅ“ur animalier, et aux activités créées autour de cette thématique.  ».
Quelques clics plus loin, on découvre l’interwiew d’une soigneuse présentant les "oiseaux-stars" du film (geai, mésange, corneille...) si généreusement hébergés dans la volière du Bois aux Daims. Et votre film devient ainsi la meilleure des pubs pour les parcs de Gérard Brémond.
Dans le film, vous dites gravement « le territoire des animaux est morcelé, divisé. Ils s’éloignent de plus en plus, s’enfoncent dans la forêt restante, au fur et à mesure qu’elle recule.  »
Saviez vous, avant d’accepter ce poisseux patronage, que le projet de Center Parcs à Roybon menace d’artificialiser 90 hectares d’une zone humide unique ? De clôturer (et donc fermer à la circulation des grands animaux) 200ha de forêt ? De modifier complètement le fonctionnement et la qualité des eaux de deux rivières ? En bref, de transformer un espace forestier en ville de 5000 habitants, fut-elle Haute Qualité Environnementale avec panneaux solaires et voiturettes électriques.
Vous qui dites « l’homme est maintenant devenu une force géologique  » sur fond de cheminées crachant du CO2, vous ne pouvez pas ignorer que chaque Center Parcs abrite une piscine chauffée à 29 °C toute l’année. Ni que ses clients s’y rendent en voiture ou en avion .
Vous affirmez à la fin du film :« Une nouvelle alliance est possible avec nos voisins de planète  ».
Or la répartition des espaces au sein d’un Center Parcs – 90 % aménagés, 10 % pour les animaux 3 - est à l’image du territoire français : des confettis éparpillés de nature "sous cloche" (parcs nationaux, réserves naturelles et autres corridors écologiques) pour "compenser" le désastre partout ailleurs (champs traités, routes, villes, lotissements, zones d’activité...). La nouvelle alliance que vous voulez avec les animaux, est-ce de rendre payant la possibilité de les apercevoir dans une réserve ? En acceptant le partenariat de Gérard Brémond, vous avez en tout cas fait alliance avec un de nos pires "prédateurs de planète" : ceux qui rendent rare et cher, ce qui était commun et gratuit.
Vous avez déclaré à Télérama en décembre 2015 : « Nombre d’associations, d’individus, de collectivités locales, se battent pour retrouver un environnement paisible pour tous.  » et « Il faut faire des films politiques sur la nature  ».
Alors pourquoi ne pas réaliser ou produire un film sur ces gens qui se battent ?
Cela supposera de creuser un minimum la question de contre qui, ou quoi, est-on amené à se battre quand on veut sauvegarder " la nature " en tant qu’espace non maîtrisé, non aménagé, non rentable. Ces adversaires (il s’agira souvent de groupes industriels) ont en général du pouvoir et de l’argent. Il vous sera donc plus difficile de trouver de riches sponsors. Mais c’est à ce prix qu’on réalise un film politique, et non pas du greenwashing.
Dans le Bois des Avenières à Roybon, habitent quelques personnes qui font vivre concrètement votre phrase « la nature n’a pas abdiqué, elle résiste  » en s’opposant à la construction d’un Center Parcs. Il ne tient qu’à vous d’aller les rencontrer.
Pierre Sèche, opposant au Center Parcs à Roybon
mars 2016
route67@no-log.org
Document original :