Décembre 2017 : les médiateurs nommés par le gouvernement pour sortir de l’impasse Notre-Dame-des-Landes rendaient leur rapport et validaient la possibilité d’optimiser l’aéroport actuel. Janvier 2018, le gouvernement refermait enfin le dossier de transfert. L’effervescence médiatique s’est alors concentrée sur la Zad et l’expulsion -attendue voire exigée- de ses occupants. Mais il semble que personne n’ait lu et encore moins commenté les premières et dernières pages du rapport. Les vraies leçons à tirer de ce cas d’école qu’est devenu NDDL sont pourtant là pour l’essentiel, en tout cas en matière de « dialogue environnemental  », cette nouvelle expression dont tout le monde se gargarise.
Les rapporteurs affirment que la situation « résulte d’un processus de décision publique défaillant et inopérant  » et que « l’histoire de la Zad est celle d’une substitution du recours à l’action illégale, voire violente, à une opposition institutionnelle au projet, dont l’écoute n’avait pas été satisfaisante, faute d’un débat contradictoire ». On ne peut être plus clair sur le diagnostic. La France est pourtant un des pays les mieux dotés en procédures qui devraient permettre de donner aux citoyens toute leur place dans la décision sur les grands projets : débat public, concertations préalables, enquêtes publiques, les outils sont là … mais les élus et les décideurs ne les voient que comme des passages obligés pour justifier leurs projets mais surtout pas pour les remettre éventuellement en cause.
Les médiateurs listent ensuite les principaux dysfonctionnements : « impacts environnementaux appréhendés de façon insuffisante et peu transparente  », « traitement cloisonné des procédures  », « faiblesse des évaluations préalables  », « absence de débat sur les objectifs du programme  » « insuffisance des évaluations des alternatives envisageables  », « inadéquation de la méthode d’évaluation socio-économique  » (celle qui préside à la Déclaration d’Utilité Publique) et « confusion entre l’État-maître d’ouvrage et l’État garant de l’intérêt public  ». Qui parle depuis trois mois de cette analyse de fond ? Personne. Pourtant dans beaucoup de projets fortement contestés, le constat est identique.
Juste après la mort de Rémi Fraisse, F.Hollande avait demandé au gouvernement « d’engager un chantier sur la démocratie participative (…) afin que sur chaque grand projet, tous les points de vue soient considérés, que toutes les alternatives soient posées, que tous les enjeux soient pris en compte mais que l’intérêt général puisse être dégagé  ». En 2015, douze mouvements d’opposition à de grands projets avaient montré devant la commission présidée par Alain Richard qu’on retrouvait presque toujours ces mêmes ingrédients, pointés deux ans plus tard dans le cas de NDDL par les médiateurs. Nous avions aussi dénoncé des pratiques fréquentes et déloyales : refus de transparence, mensonges, conflits d’intérêts...
La commission Richard a abouti à des ordonnances qui prévoient un nouveau droit à l’initiative citoyenne permettant de saisir la Commission Nationale de Débat Public et un renforcement du débat en amont de la décision. Mais cela ne suffira pas si les pratiques des maîtres d’ouvrage et des instances en charge des débats ne changent pas. Et surtout si les propositions portées par les citoyens qui participent au débat public ne sont pas reconnues. Le barrage de Sivens a finalement été déclaré illégal par la justice, l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été abandonné après un rapport montrant 14 ans après le débat public que le réaménagement de l’existant était bien une alternative. Dans les deux cas, il aura fallu s’opposer au démarrage des travaux par une occupation du site. Une « illégalité  » décriée, conspuée, inacceptable nous a-t-on répété sur tous les tons. Aujourd’hui le mot d’ordre semble être « plus de ZAD  », nulle part, jamais. On vient d’ évacuer le site du Bois Lejuc à Bure...Mais quid des sanctions envers l’ANDRA, qui avait commencé des travaux illégaux ? Quid des engagements à ne plus bafouer les règles de transparence, de débat contradictoire et d’indépendance inscrites dans tous les textes officiels ? Quid de la responsabilité de ceux qui ont sciemment travesti la vérité dans le dossier de NDDL ? Silence radio.
La Commission Nationale du Débat Public est un des maillons dans la chaîne de la décision publique. Pour que les citoyens la considèrent vraiment comme une garante de leur droit à l’information et à la participation, le doute ne doit pas exister. Sa composition n’en fait pas par nature une Autorité Indépendante (on y trouve des élus, des représentants d’associations environnementales, du Medef, de la FNSEA etc ), il est donc capital qu’aucun soupçon de partialité ou d’intérêts même indirects ne puisse entacher ses travaux.
Le renouvellement en cours à sa tête illustrera l’orientation du gouvernement en matière de concertation. Le président encore en exercice pour quelques semaines, ancien préfet, ingénieur en chef des ponts et chaussées et ancien directeur au ministère de l’équipement reconnaît aujourd’hui la « défiance générale des citoyens à l’égard des institutions et du débat public  ». « Ceux-ci, dit-il, ont souvent l’impression d’être consultés sur un dossier alors que la décision est déjà prise. Que la question n’est plus de savoir s’il faut réaliser ou non le projet mais de comment il faut faire.  ». Constat très juste, dressé d’ailleurs aussi par la Cour des comptes, mais Monsieur Leyrit s’exonère bien vite de sa propre responsabilité dans cet état de fait. Rappelons juste que dans le cadre du Débat sur les liaisons nouvelles ferroviaires Bretagne Pays de Loire, il a nommé pour une étude complémentaire deux experts dont l’objectivité pouvait être discutée du fait de leurs activités passées, et qu’il a dans le cas de NDDL impliqué la CNDP dans la réalisation d’un document partial pour la consultation de 2016...
Qu’attendre des personnalités qui seront choisies par le chef de l’État et son gouvernement ? Qu’elles soient d’abord convaincues que le pouvoir des citoyens de décider et de contrôler est un droit constitutionnel, inscrit dans les articles 14 et 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et que l’intérêt général ne peut donc être défini par les seuls élus et porteurs de projets, surtout quand ils sont capables de biaiser les études. Qu’elles soient en capacité, par leurs expériences et leurs pratiques passées d’organiser une véritable participation en s’appuyant sur les compétences des citoyens sans les discréditer a priori au motif qu’ils ne porteraient que leur intérêt propre. Que l’on nous épargne les anciens préfets, les anciens maîtres d’ouvrage, les anciens directeurs de l’Équipement, tous décideurs formatés à la fausse participation et qui n’ont connu qu’un côté de la barrière…
Ce que nous demandons à cette instance, ce n’est pas qu’elle facilite « l’acceptabilité  » d’un projet mais qu’elle fasse toute la lumière sur les alternatives, qu’elle confronte honnêtement les points de vue, qu’elle soit réellement indépendante. C’est dire si sa responsabilité est grande. Le décret ouvrant la possibilité pour les préfets de « déroger » à la réglementation, notamment en matière d’aménagement, d’urbanisme ou d’environnement suscite d’ores et déjà une grande inquiétude. L’annonce de la fermeture de lignes ferroviaires existantes sans débat public et sans bilan socio-économique des fermetures précédentes aussi. Comment ne pas voir le risque de discrédit total de la notion même de « dialogue environnemental  », déjà bien mise à mal ?
Dans tous les conflits « environnementaux  » en cours, les opposants ont participé activement au débat. Ils ont produit contributions et dossiers, ils se sont informés et formés sur des sujets très techniques en mobilisant des arguments solides ; bien loin de ne défendre que leur intérêt immédiat et particulier, ils ont été force de propositions alternatives, trop souvent méprisées. Ils n’ont pas déserté les espaces de démocratie participative. Cela n’a pas suffi. Le gouvernement saura-t-il tirer les bonnes leçons de Sivens, de NDDL ? La concertation honnête est-elle vraiment importante à ses yeux ? Ou bien cédera-t-il à la tentation de l’ordre à tout prix et aux lobbies multiples qui veulent garder le monopole de la décision en confisquant la notion d’Utilité Publique ? Il y a pour l’instant peu de signes encourageants venus d’en haut... Raison de plus pour rester extrêmement mobilisés et exigeants.
Source : https://blogs.mediapart.fr/francoise-verchere/blog/260218/pour-des-debats-publics-enfin-loyaux