Pour l’industrie du tourisme, l’allocution d’Emmanuel Macron le 13 avril 2020 a fait l’effet d’une douche froide : ainsi, les frontières avec les pays non européens resteront fermées jusqu’à nouvel ordre ; les lieux rassemblant du public, restaurants, cafés et hôtels, cinémas, théâtres, salles de spectacles et musées resteront fermés (au moins jusqu’à mi-juin) ; et les festivals et événements avec un public nombreux ne pourront se tenir au moins jusqu’à mi-juillet. Les professionnels du tourisme annoncent pour l’été 2020 une baisse d’activité de 60 à 70%. Et la remontée sera lente.
Pour Pierre et Vacances-Center Parcs (PV-CP), qui comptait sur un retour à l’équilibre en 2021, cette crise sanitaire pourrait être fatale. Selon Yann Caillère, Directeur général du Groupe, interrogé sur BFM Business le 7 avril, les 285 sites de Pierre & Vacances sont fermés depuis le 15 mars (sauf 15 Aparthotels) et 95% des employés sont au chômage partiel. Un brin optimiste, M. Caillère envisage alors une baisse de 20 à 25% du chiffre d’affaires. C’était avant l’allocution du 13 avril. Dans une interview vidéo plus récente pour Hospitality ON du 30 avril 2020, on voit M. Caillère prendre toute la mesure de la catastrophe qui s’est abattue sur l’entreprise.
Pour évaluer les chances de survie du Groupe face à cette crise, il était nécessaire d’estimer les pertes potentielles sur l’exercice 2019/2020 qui se termine fin septembre. Quatre mois sans activité, c’est un tiers de son chiffre d’affaires (CA) du tourisme en moins. En se basant sur les chiffres de l’année 2018/2019 ((voir le Rapport annuel), cela représente une baisse du CA de 455 millions d’euros (M€). D’un point de vue comptable, ce n’est pas nécessairement un problème si les dépenses baissent en proportion. Mais ce ne sera pas le cas.
En effet, certaines dépenses baisseront durant la fermeture (le personnel, les achats, les impôts), sans disparaître pour autant, alors que d’autres resteront pratiquement inchangées (les loyers, l’amortissement, les frais financiers et autres charges). A partir des dépenses de 2018/2019, il est possible d’extrapoler, grossièrement, ce que seront les dépenses en 2019/2020 et donc le résultat net. A partir d’un CA amputé d’un tiers, une fois déduites les dépenses réévaluées, on obtient un résultat net négatif (perte) d’environ 300 M€ (Voir détails des calculs).
C’est sans compter un été médiocre (les clients ne vont pas se risquer dans les aquamundos dès leur ouverture) et sans compter une deuxième, voire une troisième vague d’épidémie attendue d’ici la fin de l’année, requérant de nouveau la fermeture de ses sites. Le pire scénario. Et l’année 2020/2021 ne semble pas prometteuse car la reprise sera lente et le chiffre d’affaires en berne. Le Groupe est donc au bord du gouffre. Quelles sont ses options ?
Dans sa première allocution sur la crise sanitaire, le 13 mars, Emmanuel Macron faisait la promesse qu’ « aucune entreprise, quelle que soit sa taille, ne sera livrée au risque de faillite  ». Un mois plus tard était annoncé un dispositif de Prêt garanti par l’État, avec une enveloppe de 300 milliards d’euros.
La première option de PV-CP est donc de profiter de ce dispositif, un sésame pour emprunter aux banques. C’est ce qu’annonçait le Groupe dans un communiqué du 21 avril 2020, sans en donner le montant. Mais même avec la garantie de l’État (sur seulement 70% du prêt), les banques seront réticentes à octroyer un prêt de 300 M€ à une entreprise qui affiche des pertes depuis 8 ans et un endettement net de 228 M€. Quoi qu’il en soit, une dette, même garantie, reste une dette. Traîner une dette de 528 M€ est suicidaire. Une autre option serait de vendre Les Sénioriales et/ou sa participation dans Adagio, ou encore puiser dans ses lignes de crédit (240 M€).
PV-CP devra probablement utiliser toutes ces options pour sortir de l’ornière. Mais pour combien de temps ? L’année 2020/2021 s’annonce déficitaire. Le tourisme international sera durablement impacté tant que les frontières resteront fermées (en attendant un vaccin) et le tourisme local souffrira des effets de la crise économique et sociale qui inévitablement accompagnera la crise sanitaire, en France et en Europe. Le Groupe n’est pas près de remonter la pente.
Le tourisme non plus. De plus en plus de consommateurs prennent conscience que les voyages en avion et le tourisme de masse contribuent au réchauffement climatique et à la destruction de la biodiversité. Tel Hubert Védrine sur France Culture le 15 mars 2020 qui observe : « Regardez le développement du tourisme, qui est à la fois une manne pour beaucoup de pays, c’est une calamité écologique absolue …  ». Les mentalités changent et les usages aussi.
Guerres, révolutions, attentats terroristes, crises économiques ou écologiques et maintenant pandémies. Dans un tel contexte d’incertitude, les investisseurs délaisseront le secteur du tourisme, au détriment de PV-CP et de sa politique d’expansion. Ainsi, le Groupe pourrait avoir du mal à trouver des investisseurs privés pour les Center parcs du Rousset et de Poligny. Depuis que la Région a changé les règles du jeu et lancé des appels d’offres, auxquelles PV-CP a choisi de ne pas répondre, il n’est plus question, sans la Région, de partenariat public-privé et de Société d’économie mixte. Or, les investisseurs privés ne risquent pas de se bousculer.
Le colosse aux pieds d’argile est à terre. Pourra-t-il se relever ? En combien de morceaux ?
Après cet examen de la situation financière du Groupe, qui le montre au bord du gouffre, on peut être scandalisé que nos impôts puissent servir à garantir les dettes d’une multinationale qui accumule les pertes depuis 8 ans, traîne une dette de 228 M€ et possède très peu d’actifs sur lesquels se rabattre en cas de faillite, puisqu’il n’est pas propriétaire des biens qu’il gère (ce qui explique pourquoi les banques refusent de prêter à Pierre & Vacances). Adepte de la pompe à finance, les exonérations de cotisations sociales et la prise en charge des salariés par l’État durant la fermeture des sites ne suffisent pas à Pierre & Vacances qui va donc tirer tous les avantages de ce dispositif d’emprunt garanti … par les contribuables.
Scandaleux également que ce gouvernement subventionne, sans contreparties, un modèle économique qui repose sur une urbanisation débridée, la destruction de forêts et zones humides, des millions de m3 d’eau gaspillées dans les rivières artificielles des Center parcs et un bilan carbone dévastateur ; un modèle économique qui n’est qu’une fuite en avant dans la construction et la vente d’hébergements touristiques à des investisseurs particuliers ou institutionnels, une bulle en devenir ; un modèle périmé et destructeur largement décrié (4 projets de Center parcs font l’objet de recours par des associations locales), à tel point que PV-CP a décidé de ne plus construire de Center parcs en France, jugeant la situation trop « compliquée  ». Où est l’intérêt public à couvrir les dettes d’une entreprise délictueuse sur le plan environnemental et insolvable financièrement ?
Une bonne question à poser à nos parlementaires. Socialiser la dette privée des fleurons désargentés de l’industrie française est un cadeau aux grands groupes, sur le dos des contribuables. Il vaut mieux être assis quand on apprend le montant des prêts accordés : 500 millions d’euros pour Fnac-Darty ! 223 millions pour Europcar ! 5 milliards pour Renault ! 7 milliards pour Air France ! Le monde d’après n’impose-t-il pas d’autres priorités, d’autres choix ?
La Rédaction
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